Mur des Lamentations Kotel

Compte-rendu de la rencontre entre juifs et chrétiens orthodoxes de l'Été 2019

Discussion

Il semble qu’il n’y ait jamais eu encore en France, à notre connaissance, une rencontre entre juifs et chrétiens orthodoxes sur plusieurs jours. L’idée en est venue suite à des enseignements sur le sujet, donnés dans la paroisse du Père Antoine Callot à Lyon. Cette session s’imposait, non seulement pour approfondir cette question mais surtout pour faire l’expérience de la rencontre. On peut parler toute sa vie des juifs, si l’on n’en rencontre aucun, cela reste théorique. On peut parler du judaïsme, si l’on n’en fait pas l’expérience, même restreinte et passagère, quelle consistance cela peut-il avoir ? Tel était le but de cette session.

Nous connaissions les difficultés d’une telle entreprise, pour les avoir maintes fois vécues depuis des années, dans nos relations : d’un côté la méfiance de certains juifs (le plus souvent les juifs religieux) à notre égard, et de l’autre le jugement sévère de certains orthodoxes à l’égard des juifs. Sachant que les orthodoxes étaient pour une large majorité débutants dans ce type de rencontre, nous ne pouvions pas présager de ce qui serait donné à vivre. La bénédiction reçue par Mgr Jean nous a beaucoup portés en Église.

Pourtant, la facilité avec laquelle tout s’est mis en place, a montré à quel point l’Esprit Saint était avec nous. Tout d’abord, la disponibilité inattendue du Rabbin Yehouda Berdugo (que le Grand Rabbin de France a nommé particulièrement pour être en dialogue avec nous depuis plusieurs années déjà) qui a accepté de venir le vendredi et le samedi. Ensuite, l’acceptation de deux amis juifs, qui nous ont rejoints dès le début de la session: Daniel (de Lyon), et Annemarie (de Draguignan). Pour que la rencontre puisse être possible, il a fallu consentir à suivre les règles alimentaires des juifs religieux (la casheroute), et pour cela, d’une part cashériser toute la vaisselle, et d’autre part, acheter certains produits estampillés « casher ». En cashérisant la vaisselle, nous avons pu nous rendre compte à quel point les objets du quotidien sont traités par nos frères juifs « comme les vases sacrés de l’autel ». Car pour eux, la maison et la table familiale sont un temple et son autel en miniature. Les participants sont venus : de Bordeaux, de Toulouse, de Tours, de Caen, de Paris, d’Angers, de Lyon, de Draguignan, de Strasbourg…

 
Convivialité
Réunis autour du repas

Nous avons commencé par faire l’historique de notre association CODJ. Elle s’est imposée comme une évidence après avoir vécu diverses expériences insatisfaisantes dans le cadre de l’AJCF [1]. Le premier soir, après avoir visionné un film sur le dialogue, nous nous sommes posé les questions suivantes : Y a-t-il réellement une nécessité de travailler de façon autonome ? Quelles sont les expériences que nous avons déjà vécues dans le cadre de l’AJCF ? Pourquoi les orthodoxes peuvent se sentir en décalage avec ces expériences ? Où en sommes-nous dans la réflexion de l’articulation entre les deux alliances ? Que disent les Pères de l’Église sur ce sujet ? etc. 

Le film faisait état de l’évolution considérable depuis cinquante ans de l’Église catholique dans son rapport au peuple juif. La nécessité d’une approche différenciée d’avec nos frères catholiques et protestants se fait principalement sentir en raison du poids donné dans le dialogue à une approche teintée d'une culpabilité parfois excessive et axée sur l'antisémitisme et la Shoah. Aussi importants que soient ces éléments, nous voudrions favoriser une autre approche dans le dialogue, plus distanciée, moins émotionnelle et affective, dans l’écoute de nos traditions respectives, et sur un plan plus religieux qu’historique, avec toutes les questions importantes (théologique, liturgique, biblique) qui s’y rattachent [2]. Comme Edmond Fleg et Léon Zander le proposaient dans les débuts de l’AJCF en 1948-1949 [3]. C’est pourquoi l’association CODJ a sa raison d’être aux côtés de l’AJCF. Dès cet échange du premier soir nous avons senti une harmonie entre nous alors que nous ne nous connaissions pas tous et que nous venions d’horizons bien différents.  Un consensus s’est dégagé naturellement. Annemarie, familière du dialogue avec les catholiques a été très étonnée de cet échange, car elle n’avait jamais entendu une telle approche.

 

 

Dialogue Juifs - Chrétiens orthodoxes
Enseignement
Dialogue Juifs - Chrétiens orthodoxes
Enseignement

 

Le thème proposé a été : la lettre et l’esprit, vu par les juifs et par les chrétiens. Pour cette première session, l’accent n’avait pas été mis sur l’enseignement, mais sur la rencontre des visages et des traditions. Le Vendredi matin après l’Orthros, Père Jean-Claude a donné un petit enseignement sur le thème, à partir de Paul, 2 Corinthiens 3,6, que Sandrine a complété en s’appuyant sur un commentaire d’Alexandre Men. Annemarie Dreyfus (auteur d’un merveilleux livre : Lexique pour le Dialogue) a présenté la compréhension juive de cette expression, qui a été complétée ensuite par Daniel.

Nous avons proposé quelques ateliers : fabrication du pain de shabbat et des prosphores, initiation à l’hébreu, danses et chants d’Israël.

Préparation du pain de Shabbat
Préparation des prosphores
Préparation du pain de Shabbat
Préparation du pain de Shabbat

 

Le vendredi, en fin de journée, nous avons essayé de nous préparer à la journée du shabbat, journée particulière pour les juifs. Annemarie et Daniel, nous y ont introduits sur le plan du contenu et de la spiritualité de l’âme supplémentaire que Dieu donne à chacun ce jour là. Puis, nous avons préparé les tables et tout l’aspect matériel. Le rabbin est arrivé et nous sommes entrés dans ce jour saint de nos frères juifs, ce qui était pour certains une première expérience. Notre ancien, Michel Sollogoub (mais d’autres aussi) n’avait jamais rencontré personnellement de rabbin, ni jamais vécu une journée de shabbat avec des juifs. Cette journée avec ses trois repas et ses temps de partage où tout est suspendu, où les appareils (caméras, téléphones mobiles, instruments de musique, ordinateurs etc) sont éteints, où le silence et la rencontre des visages priment sur tout autre chose a été une véritable expérience pour l’ensemble des participants. Le rabbin s’est beaucoup investi en nous faisant participer à la vie et à l’intimité de sa tradition. Son authentique quête de Dieu a été ressentie par tous, et la joie était sur tous les visages.

Prière du matin
Prière du matin
Initiation à l''hébreu
Initiation à l''hébreu

 

L’équipe d’organisation avait prévu de ne pas faire d’offices chrétiens le samedi, par égard pour les prières juives, mais le rabbin a souhaité qu’on maintienne la prière chrétienne. Nous avons donc vécu quelque chose de tout à fait inédit ce samedi-là : les Matines, avant l’office synagogal et en fin de journée, les Vêpres de la résurrection, qui nous ont fait basculer dans le dimanche chrétien avant la fin du shabbat (qui ne s’est terminé qu’autour de 21h30 avec l’arrivée de la nuit). Nous pensions que cette expérience nous gênerait, mais en réalité, elle a été parfaitement bien vécue par tous, des deux côtés, car il n’y a jamais eu, à aucun moment, de syncrétisme. Le rabbin a donné quelques heures d’enseignements et en fin d’après midi avant les vêpres, Sandrine à fait une petite causerie sur le passage du shabbat juif au dimanche chrétien avec ce basculement du 7e au 8e/1er jour de la semaine. L’entrée vers l’eschaton préparée par ce supplément d’âme que Dieu donne pour le shabbat. En donnant l’exemple des apôtres et des premières générations chrétiennes qui le vivaient de façon habituelle et fluide.

Le dimanche n’en a été que plus joyeux et notre Divine liturgie, présidée par le Père Marc, toute illuminée par ce que nous avions reçu depuis trois jours.

Table de Shabbat
Table pour le Shabbat
Après le repas de Shabbat
Après le repas de Shabbat
Office liturgique
Office liturgique

 

Nous étions aux Balmes, lieu dit de la maison de Brigitte et Michel Sollogoub, maison familiale qui a eu dès les origines une vocation ecclésiale. En effet, c''est le Père Cyrille Argenti, qui avait posé la première pierre de la chapelle et y avait ensuite célébré pour les orthodoxes (particulièrement les grecs) disséminés dans la Drôme. Il y venait régulièrement. Mgr Stéphane, du temps où il était en charge du Sud-est, était venu également et y avait aussi célébré. Or, nous le savons, Père Cyrille a sauvé des juifs pendant la deuxième guerre mondiale, et a réussi à s’échapper après avoir été pris par les nazis. Ce n’est sans doute pas un hasard que cette première rencontre inédite entre des orthodoxes et des juifs ici en France se soit passée dans cette maison.

 

Père Cyrille, prie pour nous !

 

Le Conseil d’Administration de CODJ :  Père Jean-Claude Gurnade, Jean Rehbinder, Rémy Guérinel, Alina Robin, Sophie Hamel, Priscilla Hachemi, Claudine Garcia, Brigitte Sollogoub, Sandrine Caneri.

 

[1] AJCF: Amitié judéo-chrétienne de France.

 

[2] Voir l’article de L. Kloeble et R. Guérinel : « Une lecture orthodoxe du livre de Jules Isaac : Jésus et Israël. Une nécessaire mutation du dialogue judéo-chrétien », Sens n° 407 (juillet-août 2016), p. 305-324.

 

[3] Voir les premiers bulletins de l’AJC en 1948 et 1949, particulièrement l’article d’Edmond Fleg : « les deux fidélités ».

Thème