Du Jeudi 20 au dimanche 23 août 2020
Une deuxième session de rencontre entre juifs et chrétiens orthodoxes a été proposée cette année par l’association CODJ. Nous remercions Mgr Joseph de nous avoir donné sa bénédiction. Sans nous attarder comme l’an passé sur la spécificité de notre approche du dialogue en tant qu’orthodoxes, (voir le CR de la session : Contacts n° 269), nous avons mis l’accent cette année sur notre responsabilité ecclésiale personnelle et communautaire face à ce défi.
En effet, nous sommes conscients des difficultés d’accueillir de façon appropriée et exacte l’héritage hébraïque et juif de notre propre tradition chrétienne, depuis les saintes Écritures juives, le Nouveau Testament jusqu’à la vie de l’Église en passant par l’immense patrimoine patristique et hymnographique. Dès l’ouverture de la session, Sandrine Caneri a insisté sur l’importance pour l’Église orthodoxe de proposer une théologie du judaïsme qui soit cohérente avec l’ensemble de sa théologie, et par conséquent d’œuvrer, humblement à notre mesure, pour sensibiliser nos théologiens et nos instituts à une véritable réflexion contemporaine. Il est important à ce titre de remettre les saints Pères dans leur contexte de formulation christologique : ils ont dû lutter pour édicter une théologie distincte de celle de la synagogue à une époque d’élaboration de la dogmatique chrétienne qui, sans perdre l’humanité du Christ, fasse droit à sa pleine divinité. Ainsi la question est la suivante : jusqu’où sommes-nous héritier de nos devanciers et à quel moment, et sur quels points, nous nous en séparons, pour ce qui concerne la christologie d’une part, le rapport au monde juif d’autre part, car les deux questions sont liées??
La première soirée, une vidéo de Pauline Bèbe, première femme rabbin de France [1], a illustré ce que signifie faire preuve d’une véritable ouverture à l’autre jusque dans sa tradition religieuse. C’était une bonne introduction pour nous décentrer, aller vers l’autre dans sa différence et se dépouiller soi-même de toute volonté de le changer.
Le thème de cette session 2020, sans doute un peu large : « L’homme en quête de Dieu ou Dieu en quête de l’homme », était inspiré d’un livre d’Abraham Heschel [2], et voulait essayer de montrer la convergence et la spécificité des deux traditions dans leur approche du lien entre Dieu et l’homme.
P. Jean-Claude Gurnade a exposé les grandes lignes de l’anthropologie biblique et patristique débouchant sur la notion d’alliance où Dieu a toute l’initiative et où l’homme s’éloigne souvent par son péché, d’où son effort pour passer de l’image à la ressemblance. Sandrine Caneri a proposé une réflexion sur la façon dont Dieu se révèle par sa Parole et comment l’homme essaie de répondre à son invitation. À partir de sa conscience aigüe qu’il est mortel, l’homme se tourne vers le seul qui donne la Vie, le Vivant par excellence. Et son chemin pour trouver le Vivant et s’unir à Lui, est celui tracé par nos Pères ascètes.
Pour le Professeur Jean-Marc Chouraqui l’homme cherche Dieu, par la prière, et particulièrement les psaumes, mais aussi par la liturgie et par l’étude de la Torah. Il nous a fait un exposé magistral sur le fait que dans un midrash Dieu appelle successivement son peuple « mon fils », puis « ma sœur », puis « ma mère », car Dieu fait de son peuple non seulement son partenaire, son égal, mais encore sa mère, renversant en quelque sorte, l’ordre de création. Grâce à ce brillant professeur d’université notre session fut davantage studieuse que l’an passé, selon le désir des participants, afin d’établir notre dialogue sur une base solide, qui sera approfondie par chacun au long de l’année. Nous souhaitons un dialogue sérieux et non simplement émotionnel.
Ruth Ouazana-Barer fut notre seconde référence juive, elle nous a introduits aux différentes étapes de la vie juive depuis la naissance jusqu’à la mort en faisant parfois des liens avec les étapes chrétiennes. Puis elle a animé le shabbat de façon très pédagogique, traduisant systématiquement toutes les prières en français et y ajoutant des explications très utiles. Compréhensibles par tous, elles ont pu être estimées à leur juste valeur. Ces belles prières se sont ainsi révélées souvent proches des nôtres. Une lecture complète de la parasha du jour ‘Shoftim’ Les Juges (Dt 16,18 à 21,9), avec ses commentaires a été proposée. Nous avons eu un échange riche d’enseignements autour de la question des faux témoins ou de la lapidation. L’approche juive de ce texte nous a permis de partir de nos questions, nos révoltes, nos incompréhensions et d’approfondir notre interprétation, et finalement de mieux recevoir la Parole de Dieu. Cela nous a donné envie de poursuivre dans l’année l’étude de l’Ancien Testament par la lecture de la section juive de la semaine, car nous avons remarqué que peu d’entre nous connaissent le sens de l’Ancien Testament.
Chants et danses ont accompagné la joie de vivre ensemble le shabbat puis le dimanche en véritable fraternité. Alors que nous venions de tous les coins de France, nous nous sommes sentis comme une véritable famille, unis dans notre vie de foi, en quête d’approfondissement spirituel. Les tâches matérielles (épluchages, cuisine, couvert, vaisselle) assumées par tous, dans une fluidité magnifique a permis de créer une atmosphère simple et bon enfant, où la rencontre de l’autre était toute naturelle.
Comme l’an passé, nous avons été fidèles à l’office quotidien des matines et des vêpres, qui a aidé certains à échapper aux turbulences intérieures que peut provoquer parfois le dialogue avec une autre tradition. Et le sommet de notre semaine fut notre Divine Liturgie dominicale, concélébrées par le Père Michail (Vicariat) et le Père Romain (archevêché serbe) qui nous a donné une belle homélie sur le pardon. Nos temps de prière portés par un chœur improvisé autour de notre chef de chœur Rosemarie fut un enchantement.
Cette chapelle des Balmes, dont P. Cyrille Argenti avait posé la première pierre, et où Mgr Stéphane, actuel Métropolite d’Estonie, a tant célébré, reste habitée par ces présences d’Église qui nous ont précédés et portés. L’avenir dira les fruits que porteront ces rencontres dans les cœurs et dans l’Église. Nous remercions nos évêques de nous permettre un tel ressourcement en vérité.
Le Conseil d’Administration de CODJ : Père Jean-Claude Gurnade, Père Michail Evelson, Jean Rehbinder, Rémy Guérinel, Alina Robin, Sophie Hamel, Claudine Garcia, Sandrine Caneri.
[1] « Je est-il un autre dans le dialogue interreligieux ? » https://www.youtube.com/watch?v=JxiODan9gX0
[2] Maître du judaïsme contemporain laissant parmi de nombreux ouvrages un titre : Dieu en quête de l’homme, au Seuil.