Au cœur de la Provence, dans la chaleur de la fin du mois d’août, s’est tenue à l’Abbaye du Frigolet notre quatrième session CODJ.
Une terre qui n’est pas sans rappeler les paysages de Judée et la lumière d’Israël. Et n’oublions pas que le P. Cyrille Argenti (Juste parmi les nations) avait lui-même organisé des sessions orthodoxes dans ce même lieu. Nous sommes une quarantaine cette année, à nous rassembler autour du thème « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu », avec le rabbin Iris pour nous partager l’expérience du peuple juif.
C’est plus qu’un thème, c’est un appel : être et devenir peuple de Dieu.
Jean Rehhbinder
Vania introduit la session et ouvre l’horizon de cette rencontre en en soulignant toute sa complexité. Telle la science où une découverte en appelle une autre, ainsi de notre réflexion qui va de questionnements en questionnements.
Il nous faut tenir notre esprit dans le questionnement de peur de s’égarer trop vite dans des réponses closes, incapables de contenir le mystère. Car Israël demeure pour nous un mystère, ainsi que le formule Saint Paul (Rm 11,25).
« Quel est le mystère d’Israël ? » telle est peut-être la grande question théologique qui se pose à nous, chrétiens, et qui, comme tout mystère, porte ses paradoxes et ses contradictions. Si nous allons de questionnement en questionnements, quelles peuvent être alors les « bonnes » questions à se poser les uns aux autres ? D’abord celle centrale, qui interroge l’enjeu même de notre rencontre :
- Pourquoi dialoguer ? Et qu’arrive-t-il si on ne dialogue pas ? Quelles alternatives se posent en cas de refus de dialoguer ? La découverte d’autrui éveille la conscience de son altérité radicale et confronte aux vacillements de nos certitudes, d’un savoir qui pourrait se suffire à lui-même. La rencontre de l’autre vécue pleinement constitue une déchirure, une certaine « perte de soi » comme en témoignera l’une des participante. Nous sommes devant quelque chose qui nous dépasse et qui porte ses paradoxes et ses contradictions .
- Qui sont alors les juifs ? / qui sont les chrétiens ?
- Quelle est l’attitude orthodoxe pour ce dialogue ?
Ainsi le dialogue laisse « chacun exprimer qui il est », dans la liberté inviolable de sa personne. Établis dans cette liberté et ce respect total de ce qu’est l’autre, peut-on alors oser s’avancer vers un dialogue théologique ?
Écouter/Regarder la conférence de Jean Rehbinder: "Introduction au dialogue" Audio ou Vidéo
Père Jean-Claude Gurnade
Père Jean-Claude va éclairer la tonalité proprement orthodoxe d’un tel dialogue. Si le trésor spirituel de notre tradition est bien l’humilité, cela place la rencontre de l’autre sous ce sceau. « Notre vocation, c’est l’humilité » nous dit-il. Seule l’humilité peut laisser sa place à l’autre. Et permet peut-être d’accueillir cette question : comment se reçoit-on d’Israël ?
Écouter/Regarder la conférence de Jean-Claude Gurnade : "Pour les disciples du Christ : quelle responsabilité aujourd'hui ?" Audio ou Vidéo
Rabbin Iris Fereira
Le Dieu UN, Source d’unité et non d’uniformité.
Iris, à la suite du Père Jean-Claude, aborde la relation entre Dieu et le peuple juif avec la question de la parole. Parole(s) de Dieu qui fonde la conscience du peuple juif et en constitue l’Unité. « Souviens-toi » et « garde » forment une seule et même parole.
Dieu prononce les dix paroles dans une seule et même parole, comme les « 10 paroles » constituent une seule et même parole. Ainsi la parole divine, contrairement à la parole humaine, peut être UNE et multiple à la fois ; elle comporte une multiplicité de contenus et multiplie les possibles. Deux versets ne peuvent être réduits à une signification univoque, mais leur compréhension s’étend à la multitude des consciences singulières. La Thora a été reçue par 600 000 personnes (et donc consciences singulières) différentes. La parole divine est justement celle qui reste UNE tout en s’adressant à l’intimité d’une diversité infinie de cœurs.
L’idolâtrie est ce qui « fixe la divinité dans une représentation figée », tandis que « la diversité humaine fait la grandeur divine » nous dit Iris. Iris revient sur la Tables de la Loi ; Les premières sont créées le jour de la création et tracées au doigt de Dieu, puis brisées par Moïse, qui va lui-même tailler les secondes. Certains commentaires assurent qu’il fallait que les Tables soient brisées pour que la brisure les rendent réelles au peuple hébreu. La brisure atteste en quelque sorte de la réalité de la chose, comme la parole divine ne doit pas demeurer évanescente pour le peuple mais s’incarner en lui. De même, Dieu accepte que Ses paroles soient taillées par l’homme : quel effet pour la Parole divine d’être taillée sur un support humain ?
Si nous nous recevons d’Israël, on ne peut pas ne pas entendre comment toute cette tradition d’écoute de la Parole, de germination de la Parole comme levain de la pâte du peuple de Dieu, nous conduit nous chrétiens vers La Parole Incarnée. Mais quel peut être alors le principe d’unité du peuple, dont chaque individu reçoit la parole dans sa singularité ? « Écoute Israël, le Seigneur est UN ...» C’est la conscience de l’UNITÉ de l’Éternel qui pousse à chercher une UNITÉ du peuple. C’est également la conscience de sa responsabilité à l’égard de son frère. « Tout Israël est garant des uns des autres » Ainsi le peuple se constitue au croisement de l’axe de la relation à Dieu et de la relation à l’autre.
Peut-on penser que nous avons reçu d’Israël cette expérience ecclésiale et mystique d’une Église UNE parce qu’elle est le Corps du Christ ? La parole, chez les chrétiens comme chez les juifs, est ainsi comprise comme réelle, dans le sens où elle donne existence, elle est intimement liée à l’être, jusqu’à la Parole faite chair. Les Tables de la loi sont déposées dans le sanctuaire, les paroles sont le sanctuaire de notre relation à Dieu.
Écouter/Regarder la conférence d'Iris Ferreira : "Le Dieu Un, Source d'unité et non d'uniformité" Audio ou Vidéo
Olga Lossky-Laham
C’est avec cette conscience de l’extrême importance de la parole prononcée et reçue, que nous écoutons Olga parler de l’hymnographie byzantine. Car, si ce que l’on dit nous constitue, comment ne pas être profondément interpelés par les hymnes anti-juives qui scandent nos offices, notamment le triode de carême ? Les offices de la semaine sainte comportent nombre d’imprécations violentes envers le peuple juif, considéré comme « orgueilleux », « pervers », « assassin », « déicide »… Comment des épithètes aussi violents peuvent-ils faire partie de nos prières ?
On peut en comprendre le contexte historique : ces invectives écrites vers le IVème siècle par nos Pères, interviennent quand la Synagogue et l’Église sont encore très proches et ont pour but de détourner les chrétiens de la synagogue tellement attractive. Les hymnographes postérieurs au IVème siècle vont adopter et poursuivre cette veine imprécative mais opéreront un glissement identitaire : l’appel à la conversion de l’intérieur du judaïsme passe à la condamnation d’un peuple de l’extérieur. Autrement dit, le IVème siècle constitue le tournant où s’opère un « glissement entre imprécations prophétiques des psalmistes et hymnes injurieuses ». A-t-on basculé dans une utilisation païenne du langage ? Les hymnes, bien plus que des figures de styles, irriguent nos offices d’un contenu théologique. Quelle théologie est-elle ainsi véhiculée par ces hymnes ?
- D’une part, ces psogos induisent une théologie en contradiction même avec l’Evangile, celui-ci cible certains juifs du Nouveau Testament et non l’ensemble du peuple. Avec les hymnes on glisse vers la stigmatisation de l’ensemble du peuple juif.
- D’autre part, la composante christologique est mise au service d’une généralisation qui permet beaucoup de parallèles entre Ancienne et Nouvelle Alliance. On passe à une « généralisation de la perdition » avec des hymnes qui soulignent la caducité de l’alliance et favorisent une logique de substitution.
Le XXème siècle verra un renouveau théologique dans l’Église orthodoxe qui ouvre un questionnement possible des textes patristiques. Au niveau empirique, plusieurs paroisses ont déjà décidé de ne pas lire ou de modifier certaines hymnes anti-juive jugées en contradiction avec la théologie orthodoxe. La prochaine étape serait d’officialiser les textes déjà modifiés dans la pratique.
L’intervention d’Olga est forte, elle nous bouscule et vient nous interpeler très concrètement sur notre responsabilité vis-à-vis de notre tradition et le contenu de sa parole. Iris avait défini l’idolâtrie comme la fixation d’une image ; les questions que soulèvent Olga interrogent notre rapport aux textes : sommes-nous dans la fixation d’une image ou dans une relation vivante à une tradition habitée par l’Esprit ? Nos paroles sont-elles fidèles à l’Esprit de notre tradition, ou se sont-elles paganisées en fixant des pensées humaines ? Un travail vivifiant s’ouvre à nous pour œuvrer à l’Unité du peuple de Dieu.
Écouter/Regarder la conférence d'Olga Lossky-Laham : "La mention des juifs dans l'office byzantin" Audio ou Vidéo
Questionner-Comprendre-Écouter
Ainsi, deux jours durant, nos efforts se sont unis pour tenter de questionner, de comprendre, d’écouter, qui est notre frère juif pour nous ? Quel est le mystère de sa permanence dans l’Histoire ? Quels sont les enjeux de notre relation à eux ?…
Puis le vendredi, à la tombée du jour, nous cessons notre travail d’homme, pour entrer avec Iris et le peuple d’Israël, dans la célébration du shabbat, la joie des noces de l’âme avec Son créateur. Nous expérimentons peut-être là, par la prière commune, quelque chose de l’ineffable mystère du lien entre Dieu et son peuple : c’est unis à Lui que nous sommes unis à l’autre. A travers ce shabbat, Israël nous rend participants de la Promesse. Comme nous avons reçu d’elle le Christ. Le Christ a jailli du peuple juif comme lumière pour les nations.
Nous communion à Lui le dimanche, en Église, avec la présence de quatre prêtres. Nous accueillons nos frères de la paroisse orthodoxe d’Avignon avec be beaucoup de joie. Car c’est bien dans et pour l’Église que les graines de telles rencontres sont semées. A l’issue de cette session, nous constatons que la relation à nos frères juifs nous met en mouvement, nous questionne, nous bouscule… et nous met devant notre responsabilité à nous chrétiens orthodoxes de demeurer les pierres vivantes de notre Église, et non des pierres figées, de demeurer dans Sa Parole, non de paganiser notre langage.
Puisse la gratitude de prendre part à la Promesse du peuple élu nous habiter et puissions-nous vivre toujours plus profondément l’Unité du peuple de Dieu en Son Corps UN.
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